Les albums bilingues gagnent de plus en plus en popularité et deviennent une source d’apprentissage innovante des langues étrangères. Ils ne s’adressent pas seulement aux enfants bilingues, mais sont aussi vus comme une passerelle enrichissante pour initier les plus jeunes à une langue étrangère. Le public étant ainsi assez large, les albums bilingues suscitent une demande croissante de la part des parents. Au-delà de l’acquisition de compétences linguistiques, ces livres permettent de comprendre et d’apprécier les cultures des deux langues représentées. Ils encouragent les enfants à explorer de nouvelles façons de penser et de s’exprimer tout en renforçant les liens familiaux dans les foyers bilingues, et cela de manière douce, ludique et intuitive. Toutefois, leur création est loin d’être un exercice simple. Plongeons-nous dans les défis auxquels les auteurs et illustrateurs doivent faire face en nous mettant à la place d’un auteur d’albums bilingues franco-allemands…
Première étape: Trouver une voix commune aux deux langues
Imaginez-vous qu’une histoire prend peu à peu forme dans votre tête. Très vite, un premier obstacle se présente : le français et l’allemand sont proches. Néanmoins, leurs structures, rythmes et particularités sont parfois totalement différents. Comment faire, alors, pour transmettre une histoire de la même façon dans deux langues, tout en préservant la musicalité dont relève l’essence d’un album pour enfants ? Prenons un exemple simple : comment traduiriez-vous en allemand la phrase douce et poétique« Petit à petit, l’oiseau fait son nid » ? Exactement, ce n’est pas facile et on pourrait y passer des heures sans vraiment trouver de solution parfaite. Les solutions sont nombreuses : « Müh macht der Meister » qui essaie de conserver un peu la mélodie de la phrase française, mais perd quand même un peu de son sens et de sa fluidité initiale. D’autres traductions de l’expression sont possibles : «Gut Ding will Weile haben » ou même « Steter Tropfen höhlt den Stein ». Que faire ?
Au lieu de traduire par des expressions complexes, vous pourriez choisir des phrases simples et plus universelles qui s’adaptent facilement aux deux langues. Mais en faisant ainsi, ne risqueriez-vous pas de perdre la richesse des jeux de mots et des sonorités ? Probablement, oui, mais il faut bien être créatif pour répondre aux attentes des deux langues. Parfois, il faut même inventer. Comme dans Miriam, Mafou métisse de Magali Le Huche par exemple, où le mot «métisse» devient « Misch-Mafu », une expression inventée qui préserve l’esprit tout en évitant les mots historiquement connotés en allemand («Mischling»). On pourrait parler d’une vraie gymnastique mentale à laquelle vous devrez vous confronter afin de créer un album cohérent et sans expressions délicates.
Deuxième étape: Relier deux cultures sans perdre l’équilibre
Vous êtes enfin satisfait de votre narration, mais un nouveau défi se révèle à vous : la culture. Écrire un album bilingue, c’est aussi thématiser deux cultures riches et très différentes sur certains points. Une simple scène de Noël peut devenir un casse-tête. Tandis qu’en France c’est plutôt le père Noël qui apporte les cadeaux et que l’on retrouve davantage dans les livres et les histoires autour de Noël, en Allemagne cela peut être également le Christkind, sans oublier l’importance du Saint-Nicolas ! Quelles possibilités avez-vous pour concilier ces visions sans troubler vos lecteurs ?
- Vous introduisez les deux traditions dans votre récit, en montrant leur complémentarité.
- Vous optez plutôt pour des thèmes universels comme la magie de Noël ou la joie du partage tout en faisant découvrir certains éléments spécifiques à chaque culture.
- Soyez attentif aux symboles et illustrations, qui ne se limitent pas à accompagner le texte, mais racontent toute l’histoire. Elles doivent être attrayantes et adaptées aux deux cultures. Certains symboles, comme le Christkind pour Noël en Allemagne, n’ont pas la même signification en France. Privilégiez des éléments universels (amitié, famille) et intégrez avec mesure des spécificités culturelles pour éviter les malentendus.
- Attention ! Essayez surtout d’éviter les stéréotypes en travaillant en collaboration avec des consultants culturels.
Le défi ultime : créer une harmonie bilingue
Au fil de votre création, une question persiste : en rendant votre album plutôt «neutre» pour qu’il fonctionne dans les deux langues et cultures, ne risquez-vous pas d’effacer tout ce qui fait la richesse et la spécificité de chaque langue ?
Cette réflexion vous poussera peut-être à explorer de nouvelles approches. Peut-être qu’au fil de vos recherches, vous tomberez sur la maison KidiKunst, une maison d’édition assez jeune, fondée en 2017, qui s’est fixé pour objectif d’explorer et d’inventer de nouveaux modes d’assimilation de la langue en changeant d’approche du bilinguisme dans chaque livre ! (Ce qui s’oppose aux albums plutôt classiques qui se servent d’une traduction en miroir)
Quelques options :
- Mélanger les langues dans le texte en introduisant des dialogues en allemand dans une narration en français.
- Une évolution progressive où, une fois le contexte posé, l’allemand s’impose petit à petit avant de dominer complètement à la fin (Lunes… eine mondlose Nacht de Mélanie Vialaneix/ Mathéo et la tolle Mädchen de Myriam Gallot, de la collection Tip tongue)
Une introduction progressive de l’allemand dans l’histoire (image : KidiKunst, Lunes…eine mondlose Nacht)
Quoi qu’il en soit, chaque choix que vous faites est guidé par un objectif : offrir aux enfants une expérience unique, qui les aide à naviguer naturellement entre les langues et les cultures.
Et finalement…
Lorsque votre livre est enfin terminé, contemplez le résultat avec fierté. Vous avez dû surmonter de nombreux défis, mais ils ont donné naissance à une œuvre qui ouvrira de nouvelles perspectives aux jeunes lecteurs. Votre album est bien plus qu’un simple outil linguistique : c’est une invitation à la curiosité, et à la tolérance.
En vous mettant à la place d’un auteur ou illustrateur, vous avez peut-être réalisé à quel point créer un album bilingue peut être une tâche complexe mais aussi passionnante. Pourtant, grâce à des initiatives comme celles de KidiKunst, ces œuvres innovantes continuent d’enrichir les imaginaires des enfants et construisent des ponts entre deux langues et ainsi entre deux mondes.
JM