Mercredi 20 novembre à 15h, durée 2h, salle BR02, Campus Nation, Sorbonne Nouvelle
Attention : places limitées, réservation à service.culturel@sorbonne-nouvelle.fr
Interview avec Louise Sampagnay
Bonjour, Madame Sampagnay, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis Louise Sampagnay, je suis ATER à l’université Sorbonne Nouvelle depuis septembre 2023. J’enseigne dans le secondaire et le supérieur depuis une dizaine d’années. Je suis également doctorante en études germaniques […] et suis en train de finir ma thèse Soi-même comme une langue : l’autobiographe plurilingue et l’allemand épaillé.
Qu’est-ce qui vous a motivée à proposer l’atelier « (auto)biographies langagières » lors du festival FOCUS ?
On m’a explicitement proposé de l’organiser, mais j’en suis très heureuse. Cette demande était due à mes thèmes de recherche sur le plurilinguisme en littérature. Les écrivains de biographies langagières placent au cœur de leurs œuvres leur plurilinguisme, donc les multiples langues qu’ils parlent.
De plus, l’an dernier, j’ai donné un cours aux L2 à la Sorbonne-Nouvelle, qui s’intitulait « Langue, exil et multilinguisme dans les littératures de l’espace germanophone, de Goethe à Özdamar ». Il était centré sur la littérature de langue allemande (langue principale d’écriture) et l’idée était d’envisager comment la littérature allemande rassemble des aspects interculturels. Même dans la littérature dite « nationale », il y a beaucoup d’aspects transculturels/plurilingues, on mélange les langues… il n’y a pas vraiment de pureté linguistique. Dans le cadre de ce cours, avant d’aborder la littérature, j’ai fait écrire aux étudiants leur biographie langagière. Donc je leur ai fait écrire un texte qui parle de leur vie envisagée par le prisme des langues.
Comment le sujet des biographies langagières sera-t-il abordé lors de votre atelier ?
L’atelier que je vais donner dans le cadre du festival FOCUS ressemblera à un très rapide résumé du premier cours que j’ai donné l’an dernier au L2, mais ce sera 4h en 30 minutes ! Je vais ainsi présenter ce qu’est une biographie langagière en littérature et je vais montrer des exemples écrits par des écrivains célèbres comme Elias Canetti ou Özdamar. Après je vais proposer aux participants d’écrire leur propre autobiographie langagière, c‘est-à-dire un aspect de leur vie, sous différents formats. Par exemple, chaque langue peut être un personnage dans la vie de la personne […] Un poème dans lequel à chaque vers, on change de langue, ou bien dans lequel une strophe représente une période dans la vie de la personne, ce serait intéressant aussi… Des formats plus courts que de longs textes en prose habituels ! Et puis on fera un moment de partage où chacun pourra présenter le petit texte qu’il a écrit.
Le nombre de participants pour votre atelier est limité. Est-ce qu’il s’adresse à un public en particulier ?
Évidemment que les personnes issues de familles multilingues sont particulièrement concernées par cet atelier, car ils ont grandi avec ce dialogue intérieur entre plusieurs langues et cultures. […] Mais même tous les individus qui, dans le monde, se pensent monolingues, sont d’une certaine façon plurilingues. Ne serait-ce que dans la langue qu’on parle tous les jours : par exemple si vous parlez en allemand, vous allez forcément utiliser des mots en anglais ou en français (ex: das Niveau, die Serviette, das Portemonnaie). Donc l’atelier est ouvert à tous ceux qui veulent prendre conscience du caractère transnational de chaque langue dite « nationale », dotée d’une littérature « nationale » (ou « étrangère » : celle des fameux « départements de Langues, littératures et civilisations étrangères » que comptent les facs en France !)
D’après ce que j’ai compris, la créativité littéraire est selon vous un outil puissant pour comprendre son identité multilingue ?
Oui, c’est ça […] et ce sera le cœur de l’atelier « biographies langagières » que d’explorer le lien entre créativité littéraire et plurilinguisme.
Et puis, se rendre compte que le plurilinguisme est partout autour de nous et que ce n’est pas qu’une question de performance, du « regarde toutes mes langues, et comme je les parle bien ! ». Il n’est pas si important de bien parler les langues ; on peut être très créatif dans une langue qu’on connaît (assez) mal. Pensez par exemple aux enfants et adolescents qui chantent « du yaourt » quand ils aiment une chanson en langue étrangère : cela est au fond très créatif ! De la même manière, si on habite dans un quartier arabe, chinois ou russe : peut-être que vous n’arrivez pas à lire ce qui est écrit partout… mais peut-être que cela vous rend très créatif dans votre langue, en faisant émerger des idées, des sensations (couleurs, odeurs), ou divers souvenirs en vous !
Un des objectifs du festival FOCUS est de promouvoir l’échange interculturel entre la France et l’Allemagne. En quoi votre atelier contribue-t-il à cet objectif ?
[…] Mon atelier va renforcer l’idée que la langue n’est pas seulement un outil de communication. C’est aussi un outil de signification – et donc de création. Dans le cadre des relations franco-allemandes qui nous concernent plus immédiatement pendant ce festival, c’est très important de se rendre compte que le but, ce n’est pas simplement de communiquer en apprenant… parce que dans ce cas là, pourquoi ne pas passer par l’anglais ? Et de fait, il y a un désavoué pour l’allemand en France, et pour le français en Allemagne. Chaque langue a son importance et chaque langue est une vision du monde (Weltanschauung) qui peut recréer le monde de manière différente, comme dirait Humboldt. Le but, ce n’est pas de bien savoir parler allemand ou français, c’est aussi d’avoir conscience, par la langue, de différentes approches et de nos positions interculturelles dans toute leur fécondité. […]
Qu’espérez-vous que les participants emportent avec eux après avoir participé à votre atelier « (auto)biographies langagières » ?
Barbara Cassin, philosophe du langage, nous dit : « L’intraduisible, c’est ce qu’on ne cesse jamais de (ne pas) traduire ». Je voudrais que les participants réfléchissent à des moments ou à des phrases de leur vie où il était impossible, même pour une raison a priori anodine ou banale, de passer d’une langue à l’autre… ces moments où l’on doit rester dans une langue. Parce que finalement, c’est peut-être là où on est le plus créatif. Peut-être que s’il existe un « esprit » de chaque langue, il réside dans ses intraduisibles.
Mais surtout, qu’ils rapportent chez eux :
- l’envie d’écrire (pas forcément sur soi) ;
- la certitude que les langues nationales et les littératures nationales, ça n’existe pas vraiment ; que tout est entremêlé ;
- et qu’il n’existe pas de nécessité absolue à atteindre une perfection linguistique dans toutes, ou n’importe laquelle de nos langues !
WR