Catégories
Non classé

Sprachverfall – Une véritable menace?

“Je ne comprends rien à ce que tu dis, tu pourrais répéter ? “, “ De toute façon, le langage que les jeunes utilisent aujourd’hui est bien plus pauvre qu’il y a 50 ans”. Vous êtes vous déjà demander si ces remarques étaient réellement fondés ? Si le français et l’allemand sont vraiment menacés à disparaître dans un futur proche ? Voyons ça ensemble !

« Sprachverfall » : qu’est-ce que c’est? 

Sprachverfall pourrait se traduire par « déclin de la langue » en français. C’est un terme utilisé par plusieurs linguistes allemands qui expriment leur inquiétude face à une présumée dégradation de la langue. Lorsque l’on parle de « Sprachverfall », un autre mot me vient tout de suite en tête : « Umgangssprache », qui désigne le «registre familier ». Le site « studysmaster.com » parle de « Alltagssprache » ( « langue quotidienne ») lorsqu’on recherche la signification de Umgangssprache. Bon, cela fait déjà beaucoup de termes pour un début d’article. Donnons maintenant quelques exemples pour illustrer ce qu’est la « langue quotidienne ».

Lorsqu’on parle de langue quotidienne, on parle en réalité de plusieurs choses. Les abréviations, l’argot (ou « slang » en anglais), ou même des expressions courantes en relèvent. En allemand, on pourrait parler de « Kohle » à la place de « Geld » (l’argent). Je pourrais aussi exprimer mon manque de temps à un ami qui est dans le besoin en lui disant « Hab’ keine Zeit » au lieu de dire poliment « Ich habe keine Zeit ». Des exemples comme ceux-là, il y en a beaucoup. Et le parallèle peut facilement être fait avec le français. « Chui » à la place de « je suis », « chelou » au lieu de « louche », pas besoin d’aller plus loin …

Mais alors, qu’est-ce qui dérange vraiment les linguistes? Qu’est-ce qui dérange une partie de la population (par exemple votre oncle, ou votre cousine expatriée au Canada depuis 10 ans, qui n’est revenue que deux fois en France ces dernières années ) avec ces «changements » que l’on constate dans nos langues?

Je vais d’abord me permettre de répondre à la première question qui me semble importante pour la suite. Ce qui agace souvent aux repas de famille, ce sont les « mots d’emprunt ». Les mots d’emprunt, dans le langage courant, on en retrouve plein. Certains sont plus acceptés que d’autres, car ils sont tout simplement entrés dans le langage courant depuis bien plus longtemps que d’autres. « Chouïa », par exemple, qui vient de l’arabe et veut simplement dire « un peu ». Selon Wikipédia, ce mot serait usité en français depuis le XIXe siècle. Il est donc normal que personne aujourd’hui ne conteste cet emprunt fait à l’arabe. À contrario, le mot « wesh », qui vient aussi de l’arabe (algérien cette fois-ci) et qui veut dire « comment ça va » (même si, en réalité, les sens en sont multiples selon l’intonation et la situation), est, disons-le, beaucoup moins accepté par la société aujourd’hui. 

Pourquoi certains mots / expressions sont-ils plus acceptés que d’autres ? 

À cette question, il y a plusieurs réponses possibles. Premièrement, notre entourage. On ne s’adresse pas de la même façon à notre patron qu’à nos parents, de même encore avec nos amis . Si on tient à notre travail, notre vocabulaire sera différent dans nos relations professionnelles et avec nos amis proches. On parle dans ces cas-là d’adaptation. Cela va évidemment dans les deux sens. Lorsqu’on passe un « call », c’est rarement pour appeler notre grand-mère, mais plutôt pour quelque chose d’important. De même pour un « meeting » : c’est rarement utilisé pour exprimer qu’on a rendez-vous avec nos parents. Dans cette situation, on fait plus appel à du vocabulaire spécialisé, voire technique. En revanche, utiliser beaucoup trop d’anglicismes dans notre quotidien peut nous faire passer pour quelqu’un de « geek » et pourrait même nous tourner en ridicule si un mot ou une expression française est bien plus précis que le mot d’emprunt utilisé. Mais est-ce vraiment ce vocabulaire-là qui dérange? Ce vocabulaire dit technique ou spécialisé

Dans une certaine mesure, oui. Il suffit de voir la réaction de l’Académie française quant à « l’invasion des anglicismes » ainsi que le nombre de matinales à la radio où sont invitées diverses personnalités du paysage français exprimant leur inquiétude concernant la dégradation de notre belle langue de Molière par ces anglicismes. 

Les anglicismes sont, il me semble, l’exemple le plus facile pour illustrer l’inquiétude de beaucoup de Français (et d’Allemands) en ce qui concerne « l’état » de nos langues aujourd’hui. Internet et les réseaux sociaux sont des outils puissants pour propager de nouvelles expressions tendances. La domination de la culture américaine et anglo-saxonne touche toutes les générations (domination culturelle mais aussi économique).

Il est donc normal de faire allusion aux anglicismes. Mais comme mentionné précédemment, l’anglais n’est pas la seule langue à qui on emprunte des mots. En allemand, on retrouve aussi des mots venant du turc, du russe, du français, mais aussi de l’arabe. Et pour plusieurs raisons, les anglicismes ou gallicismes sont, je pense, bien plus acceptés par la population que les mots empruntés au turc et à l’arabe. Pourquoi ? Ça, c’est un autre débat …

Mais est-ce alors réellement une menace? 

Dans cette dernière partie, on entre dans le vif du sujet. Est-ce que l’allemand et le français sont en danger ? 

La question sonne très apocalyptique. Pourtant, c’est ce que croit une partie des populations allemande et française. 

À vrai dire, il est difficile de s’imaginer que le français parlé il y a 150 ans était le même qu’aujourd’hui. Une langue évolue avec son temps. Elle s’adapte, fait face aux nouvelles innovations, à la technologie, mais aussi à l’immigration. Le terme « smartphone », par exemple, est utilisé pour décrire l’avancée technologique qu’a connu le téléphone portable. De même pour le mot « fun », qui sera utilisé dans un environnement plus décomplexé (avec des amis par exemple). Sans oublier de mentionner les mots dit tendance, comme « swag ». 

Élu « Jugendwort des Jahres » en Allemagne en 2011, « swag » a clairement disparu des langues allemande et française. Très tendance au début des années 2010, utiliser « swag » en 2025 est devenu ridicule … Et les exemples avec ce genre de mot sont nombreux. On remarque même que ces mots dits « tendance » sont destinés à disparaître bien plus rapidement que leurs prédécesseurs (sûrement à l’image du contenu toujours plus court que proposent Youtube, Tiktok ou Instagram). 

La réelle menace serait plutôt que nos langues n’utilisent plus d’emprunts et cessent d’acquérir de nouveaux mots qui rendent possible l’évolution constante qu’une langue doit subir pour continuer d’exister. Car, on le sait, une langue qui cesse d’évoluer est condamnée à mourir et donc, à disparaître. 

Attention, cela ne veut pas dire qu’il faut commencer à dire « trankille? »  par texto à son patron ou appeler son nouvel ami allemand « digga » (qu’on pourrait traduire par « frère » ou « frérot » de façon assez informelle). 

Une des bases fondamentales de nos relations est le langage, que nous utilisons quotidiennement. Il semble donc tout à fait légitime que quelqu’un nous reproche d’utiliser un vocabulaire pauvre et peu adapté si l’on doit se faire interviewer sur la dernière œuvre d’Annie Ernaux. Notre vocabulaire, de même que la façon dont nous nous exprimons, donne aussi une indication (positive ou négative) de notre milieu social (d’où l’on vient), mais aussi de notre éducation, de notre entourage, etc …

En résumé, nous pouvons dire que le « Sprachverfall » n’est pas forcément une théorie absurde. Il représente simplement une division entre différentes générations ainsi qu’un gap socioculturel présent dans nos sociétés.

ASB