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Dans le couple franco-allemand, comment expliquer une baisse d’intérêt pour la langue du partenaire ?

La journée franco-allemande, véritable moteur des actions bilatérales, célébrée chaque 22 janvier, a lieu en France comme en Allemagne. Cet événement témoigne de l’engagement commun de la France et de l’Allemagne à travers l’éducation pour renforcer leurs liens historiques. Pourtant, malgré les initiatives éducatives et culturelles innovantes, on constate un net recul de l’attractivité de la langue du partenaire. Comment expliquer cette baisse d’intérêt?

L’amitié franco-allemande est un concept né à la suite de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les deux pays ont décidé de se rapprocher pour oublier les blessures de la guerre et éviter à tout prix de nouveaux conflits. Ils signent en 1963 un traité de coopération dans de multiples domaines, le traité de l’Elysée. Ce traité est un symbole de réconciliation des deux pays voisins, premiers partenaires économiques et moteurs de la construction européenne.

Malgré les actions de promotion, le nombre d’apprenants de la langue du pays voisin décline drastiquement. Comment peut-on expliquer cela ? Quels sont les facteurs responsables de la baisse d’intérêt pour la langue du partenaire ?

Quel est le constat en France ?

À la rentrée 2020, la grande majorité (96,0 %) des élèves du second degré qui suivent une première langue étudiait l’anglais en Lv1, tandis que l’allemand n’était choisi que par 2,7 % des élèves. Le « bilanguisme », entendu comme le fait d’apprendre deux langues simultanément en classe de sixième concerne 14,8 % des élèves. Depuis 1994, on constate une baisse presque ininterrompue des élèves qui suivent l’allemand en première langue vivante. Sur la même période, le nombre d’élèves étudiant l’espagnol ou l’italien en première langue reste relativement stable.

Les élèves choisissent massivement l’anglais en première langue. 

L’espagnol comme deuxième langue est étudié par 72,5 % des élèves du second degré et l’allemand par 15,8 % d’entre eux. 

Source : DEPP-MENJS, Système d’information Scolarité et enquête n° 16 auprès des établissements privés hors contrat. 2021

https://www.education.gouv.fr/reperes-et-references-statistiques-2021-308228

Qu’en est-il en Allemagne ?

L’Office fédéral allemand des statistiques a constaté que de moins en moins d’élèves allemands apprenaient le français dans le cadre scolaire. La raison la plus souvent évoquée est la difficulté de la langue française.

Pour l’année scolaire 2021-2022, seuls 15,3% des élèves allemands avaient choisi d’étudier le français à l’école, soit le plus bas niveau depuis 26 ans. En 1995, ils étaient 15,1%.

Le français est largement devancé par l’anglais qui a séduit 82,4% des élèves allemands en 2021-2022. Comme en France, l’anglais séduit par sa facilité mais aussi sa prédominance dans les média et réseaux sociaux, dans la culture jeune et dans le monde des affaires. Il s’apprend aussi en autonomie par le biais d’internet (jeux vidéos, films, musique…).

Néanmoins le français reste en deuxième position parmi les langues étrangères enseignées en Allemagne : le latin détient la troisième place (6,4%), suivi de l’espagnol (5,9%).

Les régions frontalières de la France plébiscitent le français: en Sarre, plus de la moitié (51,2%) des élèves apprennent le français à l’école, en Rhénanie-Palatinat ils sont 25,8% et au Bade-Wurtemberg, 24,3%.

En revanche, dans le Mecklembourg-Poméranie (nord-est), ils sont seulement 10,6%, en Saxe-Anhalt (est) 10,7% et Rhénanie du Nord Westphalie (nord-ouest) 11,5%.

En France, la situation semble beaucoup plus critique vis-à-vis de l’apprentissage de l’allemand en baisse constante.

Quels sont les facteurs explicatifs ?

L’impact de la Seconde guerre mondiale :

L’image de la langue allemande est encore marquée par les blessures de la guerre. Cette langue est associée à la langue du soldat allemand, le nazi. C’est la langue du commandement et la « langue de l’ennemi ». Ses sonorités rappellent les ordres donnés dans cette langue et les horreurs commises en temps de guerre. La transmission intergénérationnelle du traumatisme de la guerre influe négativement sur l’allemand. Ainsi, des sentiments négatifs sont associés au pays partenaire.

Le déficit d’information sur l’Allemagne :

Les élèves ont souvent peu de représentations de l’Allemagne, dans leur famille ou à l’école, c’est pourquoi ils ne font pas le choix de l’allemand. Les quelques références à l’Allemagne dans des films sont souvent négatives, comme par exemple un soldat allemand qui joue le rôle du méchant.

Les représentations socioculturelles et émotionnelles influencent le choix linguistique :

La langue allemande a la réputation d’être une langue difficile, avec une grammaire ardue longtemps destinée aux bons élèves. Cette dimension élitiste de l’allemand écarte d’office les élèves moyens ou faibles. Le choix de l’allemand a longtemps été une stratégie des parents désireux d’une classe de bon niveau pour leur enfant. En revanche, l’anglais et l’espagnol jouissent d’une réputation de langue facile avec la perspective de bonnes notes. L’Espagne attire par le nombre de pays parlant sa langue et par l’image positive, ensoleillée, chaleureuse de ce pays et des pays hispaniques associés. La dimension émotionnelle, affective vis-à-vis d’une langue est à prendre en compte pour le choix de la langue. On observe que l’environnement familial, sociétal et médiatique se positionne souvent au détriment de la langue et de la culture allemande.

Quel est le rôle politique du couple franco-allemand dans les actions de promotion de la langue du partenaire ?

L’entente franco-allemande est souvent associée à des relations politiques protocolaires, formelles. Où sont les relations authentiques d’amitié de nos dirigeants ? Les relations franco-allemandes sont souvent symbolisées par les ententes plus ou moins réussies entre nos deux dirigeants politiques. Le 22 janvier 2019, à Aix-la-Chapelle, un nouveau Traité a été signé qui prévoit en son article 10 que les deux États « adoptent des stratégies visant à accroître le nombre d’élèves apprenant la langue du partenaire ».

Les stratégies pour le développement de l’apprentissage de la langue du partenaire, programme ambitieux de promotion de la langue allemande en France et de la langue française en Allemagne, sont ratifiées le 24 novembre 2022 entre le Ministre de l’éducation nationale et de la Jeunesse, Pap Ndiaye, et son homologue allemand : Hendrik Wüst. L’avenir nous dira rapidement si ces stratégies portent leurs fruits. 

D’autres idées émergent pour enrayer la baisse d’intérêt pour l’allemand. Il s’agit notamment de refondre les programmes scolaires de la langue allemande, parfois trop scolaires afin de les recontextualiser et les rendre plus attractifs pour les élèves. Une autre idée est de revenir à l’apprentissage simultané de l’allemand et de l’anglais afin de mettre un terme au problème de concurrence entre langues vivantes étrangères. Serait-ce le retour des classes bi-langues ? 

EM

Sources :

Jugé-Pini Isabelle, « Image(s) de l’Allemagne et apprentissage de l’allemand », Allemagne d’aujourd’hui, 2020/2 (N° 232), p. 232-246. DOI : 10.3917/all.232.0232. URL: https://www.cairn.info/revue-allemagne-d-aujourd-hui-2020-2-page-232.htm

Jugé-Pini Isabelle,  « Le mécanisme du choix de l’allemand : entre raison et sentiments », Education. Université de Haute Alsace – Mulhouse, 2018. Français. Thèse sur HAL  ⟨NNT : 2018MULH0639⟩⟨tel-03131373⟩

Doublier, Caroline : « Enseignement de l’allemand et image de l’Allemagne depuis la Seconde Guerre mondiale ». In : Histoire de l’éducation 106, 2005, § 2. En ligne : http://histoire-education.revues.org/1081

https://actu.fr/societe/l-allemand-une-langue-en-voie-de-disparition-dans-les-ecoles-francaises_55059110.html (page consultée le 31.12.24)

https://www.radiofrance.fr/franceinter/l-apprentissage-du-francais-decline-en-allemagne-60-ans-apres-le-traite-de-l-elysee-3580618 (page consultée le 31.12.24)

https://cafepedagogique.net/2024/01/25/grit-hermann-enseigner-le-francais-en-allemagne/(page consultée le 31.12.24)

https://www.francophoniesansfrontieres.org/2024/01/22/tribune-l-amiti%C3%A9-franco-allemande-est-elle-aussi-linguistique/(page consultée le 31.12.24)

https://www.fle.fr/Allemagne-les-eleves-boudent-le-francais(page consultée le 31.12.24)