Le proto-germanique, c’est quoi ?
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi l’anglais, l’allemand ou encore le néerlandais avaient autant de mots en commun ? Comment un natif, à tout hasard danois, peut quasiment comprendre l’entièreté de ce que ses voisins scandinaves racontent sans même avoir appris leur langue ? Bien évidemment que vous vous l’êtes déjà demandé … ! Non ? Bon, très bien, alors laissez-moi vous l’expliquer !
Pour commencer, il est important de noter que toutes ces langues font partie d’une même famille appelée le germanique commun, plus communément appelé le proto-germanique (en anglais, seul « proto-germanic » est utilisé). Rechercher « germanique-commun » ou encore « proto-germanique » sur un moteur de recherche ne nous donne pas forcément beaucoup d’informations sur le sujet. Les sources dans la langue de Shakespeare sont, encore à ce jour, toujours plus fournies et riches que celles dans notre belle langue de Molière…
Mais revenons-en à notre proto-germanique ! Issu de la branche indo-européenne, le proto-germanique était une langue parlée en Europe septentrionale entre – 500 avant notre ère et 500 après J.-C. (D’autres sources parlent de -750 à l’an 300.)
Source: https://www.google.fr/imgres?q=europe%20septentrionale%20proto%20germanique&imgurl=https%3A%2F%2Fupload.wikimedia.org%2Fwikipedia%2Fcommons%2Fthumb%2Fc%2Fc5%2FPre-roman_iron_age_%2528map%2529.PNG%2F640px-Pre-roman_iron_age_%2528map%2529.PNG&imgrefurl=https%3A%2F%2Ffr.wikipedia.org%2Fwiki%2FProto-germanique&docid=lXgiUODdiUPftM&tbnid=ZPbdqAnHx7x2JM&vet=12ahUKEwizo5HA6_WKAxW7TqQEHUYnOsMQM3oECBgQAA..i&w=640&h=665&hcb=2&ved=2ahUKEwizo5HA6_WKAxW7TqQEHUYnOsMQM3oECBgQAA
Malheureusement, peu de sources écrites attestent de l’existence du proto-germanique. Cependant, plusieurs linguistes ont participé à une « reconstitution » en utilisant un alphabet runique ! Ce qu’il faut garder en tête, c’est que le proto-germanique n’est pas un cas isolé concernant le manque de sources écrites… Avant la standardisation et la modernisation de l’impression des langues (notamment européennes), elles étaient pour la plupart seulement parlées (orales) et non écrites.
Pour les plus curieux, vous trouverez en bas de page un lien menant à une vidéo qui illustre cette reconstitution (écrite et orale) et la proximité que l’on peut apercevoir entre le proto-germanique et ses langues descendantes.
Et le Yiddish alors ?
À partir de l’an 500, plusieurs tribus germaniques ont commencé à se disperser un peu partout en Europe. Ainsi, nous pouvons commencer à diviser le proto-germanique en trois familles distinctes.
Tout d’abord, le germanique de l‘ouest (on y retrouve l’allemand, l’anglais, le néerlandais …), puis celui de l‘est dont aucune langue n’a survécu (on peut citer le gotique qui était parlé en crimée jusqu’au 17ème siècle !) et le germanique du Nord (où on trouve le danois, le norvégien, le suédois ou encore l’islandais). Comme l’indique l’image ci-dessus, la branche qui nous intéresse est celle de l’ouest.
Le yiddish est une langue qui émerge entre le 9ème et le 11ème siècles dans la vallée du Rhin. Issu du moyen-haut allemand, on peut dire que le yiddish est à l’origine un des nombreux dialectes allemands de l’époque (oui ! L’allemand moderne tel que nous le connaissons aujourd’hui était alors encore très loin d’exister !)
Michèle Tauber, professeur à l’université de Strasbourg en littérature hébraïque et contemporaine, nous explique lors de son intervention pendant le festival Focus (18 – 22 novembre à la Sorbonne Nouvelle) qu’il existe deux variantes du yiddish (l’une occidentale, l’autre orientale). Pour ne pas trop s’éparpiller, on va principalement parler du yiddish oriental, car c’est le plus courant.
Parlé par les communautés juives ashkénazes en Europe centrale lors de son émergence au Moyen Âge, le yiddish est devenu plus qu’une langue germanique au fil des siècles. On y retrouve des influences de langues slaves (polonais, russe), du français ancien, mais surtout de l’hébreu. D’ailleurs, c’est cet alphabet qui est utilisé avec une base de 22 caractères, comme en hébreu. Cependant, ce nombre peut vite monter à 35 si l’on ajoute les voyelles, les signes diacritiques, etc …
À l’heure actuelle, le yiddish compterait entre 500 000 mille et un million de locuteurs à travers le monde (majoritairement en Israël, mais aussi en Amérique du Nord et en Europe).
Je me passerai de parler des raisons pour lesquelles ce nombre est aussi bas… vous les connaissez.
On veut des exemples !
Des exemples ? Bon, ok, donnons des exemples ! Dans cette dernière partie, on va montrer la proximité du yiddish avec le proto-germanique et ses langues descendantes (particulièrement avec le moyen haut-allemand).
Une chose qui a été assez frappante lors de l’atelier d’initiation au yiddish de Michèle Tauber, c’est la « facilité » avec laquelle les germanistes peuvent décrypter les paroles d’un poème nommé Arum dem Fayer. Évidemment, lorsque je parle de décryptage, je mentionne la transcription de l’alphabet hébreu vers l’alphabet latin, tout en passant aussi par la phonétique. Un niveau B1 suffirait à comprendre des mots ou phrases simples en yiddish.
Voici quelques exemples ci-dessous :
- Hand (main) :
- Proto-Germanique : handuz
- Haut allemand moyen : hant
- Yiddish : hant
- Haus (maison) :
- Proto-Germanique : hūsą
- Haut allemand moyen : hūs
- Yiddish : hoyz
- Wasser (eau) :
- Proto-Germanique : watōr
- Haut allemand moyen : wasser
- Yiddish : vasser
-Proto-Germanique : brōþēr (frère) → Yiddish : bruder
-Proto-Germanique : stainaz (pierre) → Yiddish : shteyn
-Proto-Germanique : ainaz (un) → Yiddish : eyns
-Proto-Germanique : twai (deux) → Yiddish : tsvey
Avec ces quelques exemples, il est rendu évident que le yiddish partage un nombre d’éléments assez important concernant la grammaire, le vocabulaire ou encore la phonétique avec sa cousine germaine, l’allemand, mais aussi avec l’ancêtre de celle-ci : le proto-germanique.
Pour finir, on peut ajouter que la structure grammaticale (morphologie, syntaxe) est, elle aussi, très similaire.
Exemple avec une phrase (générée par ChatGPT) :
« Brōþēr ist in hūsai. » ( Proto-Germanique )
« Der bruder iz in hoyz. » ( Yiddish )
Traduction = « Le frère est dans la maison »
Fascinant, n’est-ce pas ? Pour les plus germanistes d’entre vous, je vous invite à faire vos propres recherches concernant la proximité encore plus flagrante entre l’allemand et le yiddish. Promis, vous ne serez pas déçus !
ASB
Sources :
Pour les plus curieux concernant le proto-germanique ! :
- Quelques exemples du Proto-Germanique : https://www.youtube.com/watch?v=vgcUhkMtmUQ
- La Marseillaise en Proto-Germanique :